Focus séance D97 – Recherche

Intelligence artificielle en odontologie : les outils du quotidien et ceux de demain

Séance L’Essentiel
vendredi 1er déc. – 16h-17h
Responsable scientifique : Maxime Ducret
Intervenants : Raphael Richert, Paul Monsarrat

Introduction

Tel Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans s’en apercevoir, notre quotidien intègre déjà des outils d’intelligence artificielle (IA) sans que nous en ayons vraiment conscience. Que mettre derrière ce terme générique sans vouloir succomber à la mode ? Création de systèmes experts pour imiter un raisonnement à partir de faits et de règles connues, prédire un risque de pathologies en laissant seule la machine capturer les règles dans les données (machine learning), traiter des données complexes multidimensionnelles (deep learning) telles que de l’imagerie 3D, de la photographie, du son, du texte, etc. Nous sommes déjà à plus de 50 nuances d’IA …

Nul doute que ces technologies nous aident déjà et vont nous aider de plus en plus dans la prise en charge de nos patients. Après « dit Siri », nos structures de soins seront-elle équipées de « super-assistants technologiques » conversationnels de type ChatGPT pour optimiser notre pratique et nous proposer à la vitesse de l’éclair des courriers médicaux, une planification de plan de traitement tenant compte du dossier médical patient, de ses éléments socio-démographiques, médicaux, cliniques et radiographiques tout en prenant en compte la bibliographie scientifique la plus récente et des meilleurs recommandations disponibles. Vous l’avez compris, nous venons de décrire une vision idyllique de l’utilisation de cette technologie. Pourtant, comme toute innovation, elle présente aussi un côté plus obscur qui doit être assumé pour responsabiliser le praticien au moment de recruter son assistant numérique.

L’IA : un acronyme, plusieurs technologies

« Machine learning », « Deep learning » ou encore « ChatGPT », ces nouveaux termes ont envahi le quotidien et promettent de révolutionner notre quotidien, la pratique médicale et dentaire ; mais à quoi correspondent ils ? Que vont-ils changer, et à quelle technologie se fier ? Le Machine Learning se concentre sur le traitement de données chiffrées et organisées, tandis que le Deep Learning est capable de traiter des données non organisées comme du son, du texte et des images en utilisant des réseaux de neurones. Le machine learning est par exemple largement utilisée en odontologie notamment pour la détection et classification de lésions par apprentissage sur des séries de radiographies étiquetées, tandis que le deep learning ouvre la voie à la segmentation automatique à partir de données comme la tomographie volumique à faisceaux coniques (CBCT). Ces dernières années, les outils open sources tels que DALL-E, Midjourney et ChatGPT ont contribué à rendre l’IA bien plus accessible et compréhensible pour le grand public, et le terme d’IA générative a commencé à se démocratiser. Tandis que DALL-E et Midjourney se propose de générer des images sur demande, ChatGPT propose des réponses sous la forme de texte. De nombreuses autres IA génératives ont également vue le jour et sont capables de traiter différentes sources de données, telles que le texte, la voix ou la vidéo, ouvrant l’applications à de très nombreuses applications.

Fig 1 : Intelligence artificielle avec a) classification des différents types d’apprentissage et b) évolutions du nombre de publications scientifiques sur Pubmed dans le domaine de l’intelligence artificielle en santé sur les 50 dernières années.

L’IA : un lecteur d’imageries radiologiques hors normes

Une méta-analyse portant sur 117 études a révélé qu’en 2015, plus de la moitié des lésions carieuses proximales débutantes n’étaient pas détectées par les chirurgiens-dentistes, entraînant une progression de la lésion, une atteinte tissulaire plus importante et une perte de chance pour le patient. [6]. Plus de 20% des chirurgiens-dentistes apparaissent également en désaccords avec eux-mêmes sur la présence d’une lésion apicale en analysant à deux intervalles de temps une radiographie rétro-alvéolaire présentant une dent traitée endodontiquement [7]. Face à ces difficultés à lire les données radiologiques, les premiers réseaux de neurones ont été appliqués à l’odontologie cette dernière décennie et promettent d’augmenter notre capacité à détecter précocement une pathologie bucco-dentaire [8]. Brièvement, les réseaux de neurones sont composés de plusieurs couches de neurones artificiels, qui sont des nœuds connectés les uns aux autres. A la suite d’une séquence d’entrainements, il devient aujourd’hui possible de mimer le raisonnement humain et d’identifier et interpréter la forme d’une lésion carieuse sur une radiographie rétro-alvéolaire dans des situations complexes, en présence de superpositions de structures anatomiques ou encore d’artefacts radiographiques (Fig 1).

 

Fig. 2 : Utilisation en odontologie de l’Intelligence artificielle pour la radiologie a) utilisation d’un réseau de neurones pour la segmentation des structures dentaires d’une dent de sagesse et l’évaluation automatisée de la majorité sur un orthopantomogramme (Allisone ©)(b), exemple de segmentation des structures d’une dent de sagesse mandibulaire par réseau de neurone [9].

De récent travaux montrent également que le deep learning permet la reconnaissance des lésions de la muqueuse buccale sur une photographie, la détection des limites prothétiques lors d’une préparation pour couronne sur une empreinte optique, ainsi que la segmentation des éléments nobles tels que le nerf alvéolaire inférieur ou la dent sur un examen CBCT avec une précision inégalée jusqu’alors [1–4]. Ces différentes évolutions permettent d’envisager une forme de médecine appelé « médecine personnalisée » qui propose de prendre en compte l’ensemble des particularités individuelles pour mieux simuler et prédire le fonctionnement du corps humain [5]. Couplé à des techniques du monde de la modélisation biomécanique, cela ouvre la voie à une médecine qui pourrait anticiper par exemple le risque de fracture d’une dent, de déscellement couronne ou encore la fracture d’un crochet.

L’IA, à quand l’assistant médical ?

Les applications d’intelligence artificielle en médecine bucco-dentaire ne se limiteront pas au diagnostic, avec par exemple l’assistance et l’aide à la prise de décision. Il est assez facile d’imaginer un super assistant basé sur les technologies de type ChatGPT et permettant de rédiger des courriers médicaux ou encore de proposer ou d’organiser un plan de traitement à partir de la description des éléments cliniques et radiographiques. Ces outils peuvent aider à planifier les séances cliniques, mais également à mieux communiquer au patient les principales étapes du traitement et les enjeux associés à chaque séance. Récemment, différents outils basés sur l’IA ont vu le jour pour adapter les stratégies thérapeutiques de réhabilitation du sourire à la forme du visage ou encore aux émotions du patient. Ces technologies reposent sur la détection automatisée des formes caractéristiques et de points du visage pour permettre une reconstruction personnalisé du sourire [10].

L’IA, doit-on lui faire confiance ?

Après avoir listé toutes les avancées que l’IA va apporter à notre profession, un premier réflexe d’enthousiasme apparait avec cette envie urgente de « passer à l’IA ». Ce réflexe humain est bien connu puisqu’il s’agit du biais de sur-confiance qui fait que chacun d’entre nous se laisse naïvement aveugler, oubliant la partie obscure dont nous vous parlions déjà dans l’introduction. L’IA ne déroge pas à toutes les innovations, et c’est donc en responsabilité qu’il faut rester vigilant face aux différents points de fragilité. Ce sujet, aussi appelé éthique de l’intelligence artificielle, aborde tous les points qui permettront une intégration responsable et durable de cette technologie, en conservant la confiance des patients et des praticiens. Il existe de nombreuses manières d’aborder cette question, mais dans le cadre de cet article nous aborderons principalement deux points : la transparence et l’explicabilité de l’intelligence artificielle.

La transparence d’une IA consiste à développer des logiciels qui seront transparent sur la manière dont ils sont créés. C’est par exemple informer l’utilisateur sur le type d’algorithme ou sur le réseau de neurones, ou encore le nombre et la source des données qui ont permis la construction et l’entrainement de l’IA. Cette transparence permet à l’utilisateur lorsqu’il en est informé d’identifier les limites et les risques de certains dispositifs.

De la même manière, l’explicabilité est là pour accompagner l’utilisateur à répondre à la question du « pourquoi cette décision ? », lorsque l’IA décide quelque chose.  Cette explicabilité est un point important que chaque développeur doit intégrer dans un logiciel d’IA, et notamment en santé, de manière à construire notre confiance progressive dans la décision de la machine, pour permettre d’informer l’utilisateur lorsque le logiciel « bug » ou manque d’entrainement. Cette explicabilité permet alors au praticien de reprendre la main sur la prise en charge du patient, remettant alors l’IA à sa seule et unique place d’outil au service du praticien.

Conclusion

L’IA frappe à la porte du cabinet dentaire, apportant de nombreuses promesses d’accompagnement organisationnel et d’améliorations cliniques. Même si les technologies présentent des résultats encourageants, de nombreuses fragilités sont encore à considérer.

Ce n’est qu’en abordant l’IA de manière responsable que nous arriverons à lui trouver sa juste place, parfois à nos côtés pour nous assister, parfois avec le patient pour l’accompagner chez lui entre deux rendez-vous, mais jamais pour nous remplacer. Dans les 10 à 20 prochaines années, l’enjeux pour les chirurgiens-dentistes n’est de pas s’inquiéter d’être remplacé par des intelligences artificielles, mais d’apprendre à faire les bons choix pour améliorer la prise en charge de nos patients.

Points clefs

  • Notre quotidien intègre déjà des outils d’intelligence artificielle (IA) sans peut-être même que nous nous en apercevions, et promet de révolutionner la prise en charge de nos patients en envisageant une médecine encore plus personnalisée.
  • Bien que le parlement européen vienne d’adopter un projet de réglementation de l’IA, de nombreuses interrogations demeurent, combinant à la fois des questionnements technologiques, éthiques, juridiques et déontologiques.

 

Bibliographie

[1]        Lahoud P, EzEldeen M, Beznik T, Willems H, Leite A, Van Gerven A, et al. Artificial intelligence for fast and accurate 3D tooth segmentation on CBCT. J Endod 2021;47:827–35. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.joen.2020.12.020.
[2]        Lahoud P, Diels S, Niclaes L, Aelst S Van, Willems H, Gerven A Van, et al. Development and validation of a novel artificial intelligence driven tool for accurate mandibular canal segmentation on CBCT. J Dent 2022;116:103891. https://doi.org/10.1016/j.jdent.2021.103891.
[3]        Warin K, Limprasert W, Suebnukarn S, Jinaporntham S, Jantana P, Vicharueang S. AI-based analysis of oral lesions using novel deep convolutional neural networks for early detection of oral cancer. PLoS One 2022;17:1–14. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0273508.
[4]        Eto N, Yamazoe J, Tsuji A, Wada N, Ikeda N. Development of an artificial intelligence-based algorithm to classify images acquired with an intraoral scanner of individual molar teeth into three categories. PLoS One 2022;17:1–10. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0261870.
[5]        Lahoud P, Jacobs R, Boisse P, EzEldeen M, Ducret M, Richert R. Precision medicine using patient-specific modelling: state of the art and perspectives in dental practice. Clin Oral Investig 2022;26:5117–28. https://doi.org/10.1007/s00784-022-04572-0.
[6]        Schwendicke F, Tzschoppe M, Paris S. Radiographic caries detection: A systematic review and meta-analysis. J Dent 2015;43:924–33. https://doi.org/10.1016/j.jdent.2015.02.009.
[7]        Goldman M, Pearson AH, Darzenta N. Reliability of radiographic interpretations. Oral Surgery, Oral Med Oral Pathol 1974;38:287–93. https://doi.org/10.1016/0030-4220(74)90070-X.
[8]        Schwendicke F, Golla T, Dreher M, Krois J. Convolutional neural networks for dental image diagnostics: A scoping review. J Dent 2019;91:103226. https://doi.org/10.1016/j.jdent.2019.103226.
[9]        Bui R, Iozzino R, Richert R, Roy P, Boussel L, Tafrount C, et al. Artificial Intelligence as a Decision-Making Tool in Forensic Dentistry: A Pilot Study with I3M. Int J Environ Res Public Health 2023;20. https://doi.org/10.3390/ijerph20054620.
[10]      Gürel G, Paolucci B, Iliev G, Filtchev D, Schayder A. The fifth dimension in esthetic dentistry. Int J Esthet Dent 2021;16:10–32.

Intelligence artificielle en odontologie : les outils du quotidien et ceux de demain

Séance D97 – Format L’Essentiel
vendredi 1er déc. – 16h-17h

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